La loi sur l’immigration du 26 janvier 2024, mise en vigueur le 28 janvier, prévoit l’attribution d’un titre de séjour d’un an (exceptionnel et donc temporaire) à certains salariés en situation irrégulière (non ressortissants des États membres de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse) travaillant dans des secteurs en tension de recrutement, ainsi que des zones géographiques caractérisées par des difficultés de recrutement.
Cette disposition s’applique à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2026, et vise à simplifier les procédures de régularisation, en supprimant l’obligation pour l’employeur de soutenir la demande dans ce contexte.
Cette nouvelle possibilité de régulariser les travailleurs sans papiers exerçant dans les métiers dits « en tension » était largement anticipée par une partie des employeurs, afin de remédier à une pénurie de candidats dans les domaines du social et du médico-social.
Le gouvernement a donc émis, le 5 février 2024, publiée le 19, une circulaire explicitant les conditions d’admission au séjour pour les étrangers justifiant d’une expérience dans un métier en tension.
Cette dernière est destinée aux préfets de police, de région, et de département, et fixe ainsi les nouvelles modalités d’admission au séjour pour les travailleurs étrangers. Elle s’impose comme la référence pour les bureaux des étrangers des préfectures dans la gestion des demandes de régularisation par le travail.
Cependant, contrairement à ce que prévoyait le projet de loi initial du gouvernement (une attribution de plein droit dès lors que certaines conditions étaient remplies), une version plus restrictive du texte a été adoptée.
Le titre de séjour sera accordé à titre exceptionnel et à la discrétion des préfets, conformément aux dispositions déjà établies par la circulaire Valls de 2012, car il convient de noter que cette circulaire relative à la régularisation des étrangers sans papiers ne possède pas de force législative.
Elle constitue plutôt des instructions données aux préfectures quant à l’appréciation des demandes de régularisation formulées par les étrangers sans papiers. Ainsi, même si les critères énoncés dans la circulaire sont remplis par l’étranger sans papiers qui présente sa demande de régularisation en préfecture, l’octroi d’un titre de séjour n’est pas automatique et n’est pas garanti.
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I. Critères et pouvoirs décisionnaires du préfet concernant l’AES
La circulaire du 5 février 2024 définit les principes et critères régissant les modalités de réception et d’instruction des demandes.
Elle explicite les critères d’admission au séjour sur lesquels les préfets baseront leur décision, tout en respectant leur pouvoir discrétionnaire, et les critères suivants seront examinés :
- Expérience professionnelle et emploi dans un métier en tension : le demandeur devra justifier d’une expérience professionnelle salariée dans un métier en tension d’au moins 12 mois, consécutifs ou non, au cours des 24 derniers mois. La liste des métiers en tension sera déterminée par arrêté, par zone géographique.
- Résidence : l’accès au dispositif est conditionné à une durée de résidence significative d’au moins 3 ans en France.
- Intégration : l’admission sera subordonnée à l’insertion sociale et familiale, au respect de l’ordre public, ainsi qu’à l’intégration dans la société française et à l’adhésion à ses modes de vie et valeurs, ainsi qu’aux principes de la République, à titre d’exemple (parentalité, éducation des enfants, égalité femmes-hommes, laïcité, respect de la démocratie et de l’État de droit).
- Casier judiciaire : la vérification systématique des casiers judiciaires des demandeurs sera requise. Le dispositif ne pourra être accordé qu’en l’absence de mentions de condamnation, d’incapacité ou de déchéance au bulletin n°2 (ce bulletin d’une personne physique contient les décisions inscrites au casier judiciaire relatives aux condamnations à des peines criminelles et correctionnelles, ainsi qu’aux mesures de placement ordonnées dans le cadre d’une procédure pénale concernant cette personne).
L’instruction des dossiers pourra alors aboutir à la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an. De surcroît, les dossiers seront constitués par les salariés eux-mêmes et non plus par leurs employeurs. Les demandes devront être instruites dans un délai de 90 jours après leur complétion.
Bon à savoir :
– la circulaire précise que, pour déterminer l’éligibilité du travailleur à cette admission exceptionnelle, la loi exclut les activités exercées dans les situations suivantes :
– Sous un titre de séjour « travailleur saisonnier »
– Sous un titre de séjour « étudiant »
– Sous une attestation de demandeur d’asile.
– En tant qu’auto-entrepreneur, dans le domaine de l’entrepreneuriat ou d’une activité libérale.
II. Quels sont les métiers en tension en France ? Comment cela fonctionne-t-il ?
Le travailleur doit prouver, à la date de la décision préfectorale, qu’il exerce un métier figurant sur la liste des professions en tension. À noter que cette liste a été établie par un arrêté du 1er avril 2021, liste consultable ici (legifrance).
En réalité, pour de nombreuses régions, la liste ne recensait pas les métiers souffrant d’une réelle pénurie de main-d’œuvre, tels que ceux de la restauration, de l’hôtellerie, du BTP, et des services de ménage.
Pour remédier à cela, la loi sur l’immigration a modifié le CESEDA (art. L. 414-13, al. 2) afin de prévoir une actualisation au moins annuelle de cette liste, après consultation des organisations syndicales représentatives des employeurs et des salariés.
La circulaire (5 février 2024) précise que, étant donné que la liste des métiers en tension peut changer, il est important de vérifier à quelle date il convient de déterminer si le métier occupé fait partie de cette liste.
Concernant la justification du travail dans un métier figurant sur la liste des métiers en tension pendant au moins 12 mois au cours des 24 derniers mois, le préfet doit se baser sur la liste en vigueur au moment où l’activité déclarée a été exercée par le travailleur.
Pour ce qui est de la justification de l’emploi actuellement occupé par le demandeur, le préfet doit se référer à la liste en vigueur à la date de sa décision. En cas de mise à jour de la liste pendant l’instruction, le préfet doit appliquer la disposition la plus favorable au travailleur.
Selon les régions, les demandes de métiers en tension de recrutement les plus fréquentes sont liées aux familles professionnelles suivantes :
- Agents d’entretien de locaux
- Autres professionnels para-médicaux
- Charcutiers, traiteurs, bouchers
- Aides-soignants
- Conducteurs routiers
- Agents de maîtrise et assimilés des industries de process
- Chefs de chantier, conducteurs de travaux
- Infirmiers
- Géomètres
- Chaudronniers, tôliers, traceurs, serruriers, métalliers, forgerons
- Cadres, techniciens et agents de maîtrise de la maintenance et de l’environnement
- Etc.
Afin de mieux comprendre :
Les tensions observées dans les différents métiers varient donc selon les secteurs.
La pénurie de main-d’œuvre, par exemple dans l’industrie, est due à des exigences spécifiques en qualifications ou formations, ainsi qu’à des conditions de travail contraignantes. Cette problématique concerne environ 3/4 des métiers en tension.
L’intensité de l’embauche se réfère au ratio entre le nombre d’offres d’emploi ou de projets de recrutement et l’effectif moyen dans un métier. Dans des secteurs comme le bâtiment et les travaux publics, où les employeurs recrutent activement, cette forte demande crée une tension significative, concernant environ 2/3 des métiers en tension.
La précarité de l’emploi a un impact considérable sur le recrutement, car les CDD ou saisonniers sont moins attractifs que les CDI. Cependant, cette cause de tension est moins marquée que les autres.
Les conditions de travail jouent un rôle crucial dans la difficulté de recrutement, en raison d’horaires atypiques (travail de nuit, le week-end) ou de métiers stressants ou exposés en extérieur, tels que ceux de l’industrie (notamment en métallurgie et chaudronnerie) et les professions de santé.
L’adéquation entre la spécialisation de la formation et les exigences du métier constitue un problème structurel majeur. Par exemple, il y a une pénurie de jeunes formés dans les métiers manuels, le bâtiment, l’industrie, mais aussi dans l’informatique, les télécommunications et le secteur de la santé. Pratiquement tous les métiers en tension requièrent des formations spécifiques.
Une dernière contrainte, mais pas des moindres, concerne l’inadéquation géographique, qui se manifeste lorsque les demandeurs d’emploi et les offres ne se trouvent pas dans les mêmes zones géographiques, créant un déséquilibre entre l’offre et la demande. De plus, les candidats ne sont pas toujours mobiles en raison de contraintes familiales ou financières.
III. Après les conditions à remplir pour le dépôt d’une demande d’admission à l’AES, qu’en est-il pour les employeurs ?
En France, certains métiers souffrant d’une grande tension sont principalement occupés par des personnes immigrées, parfois « au black ».
Un étranger en situation irrégulière de séjour et de travail peut, sans la participation obligatoire de son employeur (contrairement à l’ancienne procédure), déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour par le travail en justifiant donc des modalités énoncées plus haut.
Mais alors qu’en est-il de la situation pour les employeurs ? Si ce n’est que pour rappel, il convient de noter que le rôle de l’employeur est officiellement effacé de la procédure instruite dans le cadre des métiers en tension.
Aucune démarche administrative n’est, en principe, attendue de sa part.
Toutefois, la circulaire du 5 février 2024 indique que si l’étranger ne remplit pas les conditions liées au métier en tension, son dossier sera réexaminé en exigeant la fourniture d’un formulaire CERFA préalablement rempli par l’employeur.
Cette procédure est certes louable, mais contradictoire, puisque le dépôt d’un tel dossier pourrait également révéler une infraction de travail illégal, surtout lorsque la loi du 26 janvier 2024 sanctionne plus sévèrement les employeurs en cas d’emploi de travailleurs étrangers sans autorisation de travail, notamment par le doublement du montant de l’amende pénale, qui passe à ce moment-là de 75 000 € à 150 000 € par étranger concerné pour une personne morale.
En outre, cette circulaire précise que les données collectées concernant le non-respect des obligations par l’employeur, relevées dans le cadre de la demande déposée au titre des métiers en tension, pourront être communiquées aux corps de contrôle dans un objectif de « lutte contre le travail illégal ». Ainsi, bien que le rôle de l’employeur ne semble pas être pris en compte, il demeure néanmoins risqué.