Recevoir un avis de classement sans suite après avoir porté plainte est souvent très déstabilisant pour la victime.
Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’une décision du procureur de la République qui choisit de ne pas poursuivre les faits dénoncés.
Autrement dit, le classement signifie qu’aucune instruction ni poursuite ne sera engagée par le parquet sur votre plainte, mais ce n’est pas un jugement d’innocence ni un non-lieu prononcé par un juge.
Le procureur doit toutefois motiver sa décision (article 40-2 du CPP) en précisant des raisons juridiques ou d’opportunité.
En résumé, le classement sans suite interrompt la procédure sans régler le fond de l’affaire – il ouvre en revanche la possibilité de divers recours pour la victime.
Vérifier le motif du classement

Avant toute chose, il est important de comprendre pour quelles raisons votre dossier a été classé sans suite. Le procureur peut évoquer des motifs juridiques ou d’opportunité.
Par exemple, le classement peut être justifié par :
- Absence d’infraction : les faits dénoncés ne correspondent pas à une infraction pénale.
- Preuves insuffisantes : les éléments recueillis n’établissent pas clairement la commission de l’infraction.
- Auteur inconnu : on n’a pas pu identifier le responsable des faits malgré l’enquête préliminaire.
- Extinction de l’action publique : la plainte a été retirée par la victime, ou l’infraction a été réparée (ex. paiement d’une indemnité).
- Opportunité des poursuites : l’infraction est jugée mineure, sans dommage sérieux ou à faible trouble à l’ordre public.
- Obstacle de fond : l’auteur présumé n’est pas pénalement responsable (par exemple mineur, légitime défense).
Dans tous les cas, le parquet doit vous informer de la raison retenue.
Ce motif conditionne ensuite la stratégie à adopter pour contester ou relancer l’affaire.
Vos options de recours

Plusieurs voies s’offrent à vous après un classement sans suite :
- Recours hiérarchique (procureur général) : vous pouvez adresser au procureur général (à la Cour d’appel) une lettre motivée pour l’enjoindre d’ordonner au parquet de votre secteur de reprendre les poursuites.
Ce recours (article 40-3 du CPP) n’est pas automatique, mais il oblige le procureur général à réexaminer le dossier. Il peut confirmer le classement ou décider qu’il convient d’engager des poursuites. - Citation directe : si vous connaissez clairement l’auteur présumé, vous pouvez envisager la citation directe devant le tribunal (correctionnel ou de police).
Cette procédure permet de demander vous-même la convocation du suspect devant la juridiction répressive.
Elle est cependant réservée aux situations où les preuves sont manifestes, car elle nécessite de supporter les frais liés à l’acte d’huissier et de verser une consignation (une garantie financière) au tribunal.
En pratique, elle est utilisée lorsque l’enquête est déjà très avancée et que l’on dispose de tous les éléments de preuve nécessaires. - Plainte avec constitution de partie civile (saisine du doyen) : c’est la principal recours judiciaire pour la victime. Il s’agit de déposer une nouvelle plainte directement devant le juge d’instruction, en tant que partie civile.
Cette plainte spéciale est reçue par le doyen des juges d’instruction du tribunal compétent, qui examine s’il y a lieu d’ouvrir une information judiciaire.
La plainte PC permet de « passer outre » le classement sans suite du parquet.
C’est un moyen pour la victime d’obtenir qu’un juge enquête de façon contradictoire sur les faits.
Ces trois voies sont complémentaires : le recours hiérarchique et la citation directe peuvent être engagés en parallèle de la plainte avec constitution de partie civile, le temps de l’instruction éventuelle. Dans tous les cas, il est fortement conseillé de se faire accompagner par un avocat, qui pourra préparer un dossier solide et respecter les formalités.
Saisir le doyen des juges d’instruction, étape par étape

Déposer une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction obéit à une procédure précise :
- Adresse et compétence : la plainte doit être envoyée au doyen des juges d’instruction du tribunal judiciaire compétent. En général, il s’agit du tribunal du lieu où l’infraction a été commise ou, si vous connaissez l’auteur présumé, du tribunal de son domicile.
Par exemple, si vous avez été victime d’une agression à Paris, vous adressez votre plainte au doyen du tribunal judiciaire de Paris.
Envoyez votre courrier en recommandé avec accusé de réception pour avoir une preuve du dépôt. - Contenu de la plainte : la lettre doit être exposée de façon claire et détaillée. Elle doit mentionner obligatoirement :
- vos nom, prénoms, date et lieu de naissance, nationalité, adresse et coordonnées complètes ;
- l’énoncé chronologique des faits (dates, lieu, circonstances) tels que vous les rapportez ;
- l’identité de l’auteur ou des auteurs présumés (si vous les connaissez) – dans le cas contraire, vous pouvez indiquer “contre X” (signifiant que l’auteur est inconnu);
- tous les éléments de preuve dont vous disposez (témoignages, rapports médicaux, photos, expertises, correspondances, etc.) ;
- la description précise du préjudice subi (corporel, matériel, moral) et le montant des dommages-intérêts que vous réclamez le cas échéant ;
- une mention d’intérêt à agir (expliquer pourquoi vous avez qualité de victime).
Vous pouvez également indiquer le nom de votre avocat le cas échéant. L’ensemble doit être daté et signé. L’avocat peut aider à structurer la plainte et à choisir la qualification juridique adaptée pour maximiser vos chances de recevabilité.
- Pièces à joindre : joignez en annexe tout document utile à l’appui de votre plainte. Il est important d’inclure notamment : copie du récépissé ou accusé de réception de votre première plainte simple (classée sans suite), certificats médicaux, devis ou factures du préjudice, attestations de témoins, photos, rapports d’enquête policière, captures d’écran, etc. Chaque pièce doit être identifiée et légendée. Des pièces incohérentes ou en nombre insuffisant pourront fragiliser votre dossier.
- Consignation : après dépôt de la plainte, le juge d’instruction vous demandera généralement de verser une consignation (une somme d’argent) en garantie.
Ce montant est fixé en fonction de vos ressources et doit être payé dans le délai imparti (sinon la plainte est déclarée irrecevable). La consignation sert à couvrir une éventuelle amende civile en cas de plainte abusive (cette amende peut aller jusqu’à 15 000 €).
Bonne nouvelle : si vos revenus sont modestes, le juge peut vous dispenser de verser la consignation. De même, les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle totale ou partielle n’ont pas à avancer la consignation.
Dans tous les autres cas, la consignation vous sera restituée à la fin de l’instruction, que l’enquête aboutisse ou non. - Délais indicatifs : en pratique, comptez environ 1 à 4 semaines après l’envoi pour recevoir un accusé de réception du greffe du doyen (celui-ci mentionne généralement la date de dépôt et l’identité des parties).
Le juge d’instruction a ensuite un mois pour statuer sur la plainte.
Pendant ce délai, le procureur peut solliciter un délai supplémentaire (jusqu’à 3 mois) pour poursuivre l’enquête préliminaire.
Si le juge n’a pas rendu de décision en un mois, vous pouvez alors saisir le président de la chambre d’instruction pour qu’il statue à sa place.
En résumé, l’ensemble de la procédure depuis le dépôt peut durer plusieurs mois selon la complexité du dossier et les demandes d’enquête complémentaires.
Coûts, délais, issues possibles

- Coûts de la procédure : en dehors de la consignation (voir ci‑avant), les coûts principaux sont ceux liés à l’avocat (rédaction de la plainte, accompagnement) et aux éventuelles expertises. Il n’y a pas de frais de greffe comme dans les procédures civiles.
Grâce à l’aide juridictionnelle, l’avocat et la consignation peuvent être pris en charge si vous remplissez les conditions de ressources. - Délais de traitement : après dépôt, le greffier accuse réception sous quelques semaines. Le juge doit rendre une ordonnance motivée dans un délai d’un mois. Le procureur peut demander jusqu’à 3 mois supplémentaires pour enquêter ou demander votre audition. Si le juge ne statue pas en un mois, la loi permet de saisir directement la chambre d’instruction (p. ex. via un avocat) pour obtenir une décision.
Au total, il faut souvent compter plusieurs mois (voire plus d’un an) pour voir si une information judiciaire est ouverte. - Issues possibles : deux cas de figure. D’une part, le juge d’instruction peut ouvrir une information judiciaire (il rend une ordonnance de commission rogatoire, désigne un juge instructeur, etc.). Dans ce cas, vous devenez partie civile et l’enquête est confiée à un juge d’instruction.
L’affaire pourra éventuellement aboutir à une mise en examen de l’auteur présumé et à un renvoi devant le tribunal. D’autre part, si le juge estime que les faits dénoncés ne constituent pas une infraction ou sont insuffisants, il rendra une ordonnance de refus d’informer (un non-lieu). L’information n’est alors pas lancée. En cas de refus d’informer, vous avez la possibilité de faire appel de cette ordonnance dans un délai de 10 jours.
Si, à l’inverse, l’information se poursuit et se termine sur un non-lieu prononcé après enquête, la victime perd également la possibilité de demander des poursuites – sauf à agir en justice civile pour demander réparation indépendante.
Erreurs fréquentes
Pour optimiser vos chances, évitez les écueils classiques :
- Plainte insuffisamment motivée ou détaillée : une plainte trop vague (sans chronologie précise ou sans lien clair entre faits et préjudice) risque d’être jugée irrecevable ou de donner lieu à un refus provisoire d’instruire. Par exemple, si le procureur estime la plainte « insuffisamment motivée » ou justifiée par les pièces, il peut demander au juge d’instruction de convoquer la victime pour compléter le dossier. Une rédaction claire, factuelle et objective est donc essentielle.
- Absence de préjudice direct : seul le victime direct peut se constituer partie civile.
Les proches ou témoins sans préjudice personnel ne peuvent pas lancer cette procédure. Par exemple, un simple témoin de faits sans dommage personnel ne peut pas se constituer partie civile. C’est une source fréquente de rejet. - Pièces incomplètes ou incohérentes : oubliez de joindre des documents cruciaux (certificats, constats) ou joignez des preuves mal nommées, contradictoires ou non datées, et le juge pourra douter de la validité de votre plainte.
Classer clairement les annexes et relier chaque élément à votre récit des faits est indispensable. - Non-paiement de la consignation : négliger de verser la consignation dans le délai imparti entraîne l’irrecevabilité immédiate de la plainte.
C’est un piège classique. Si vous avez des difficultés financières, pensez à demander la dispense de consignation au juge (possible en cas de faibles ressources). - Formalisme non respecté : des erreurs de procédure (ne pas faire de LRAR, ne pas préciser le doyen ou les coordonnées exactes, etc.) peuvent valoir un rejet de forme. D’où l’intérêt de faire relire la lettre par un avocat ou un professionnel.
L’apport concret de l’avocat
Faire appel à un avocat pénaliste comme Me Chreifa Badji Ouali apporte plusieurs avantages pratiques.
Voici le plan :
- Rigueur juridique : l’avocat vérifie que la plainte est complète, juridiquement solide et bien argumentée. Il veille à ce que tous les critères de recevabilité soient remplis et que le droit applicable soit correctement cité.
- Stratégie probatoire : il vous aide à déterminer et rassembler les preuves clés (témoignages, expertises, preuves matérielles). Il peut, par exemple, diligenter un constat d’huissier pour immortaliser des preuves numériques ou vous conseiller de faire établir un certificat médical détaillé, pour étayer le lien de causalité.
- Accompagnement procédural : l’avocat rédige et dépose la plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen, vous représente lors des auditions ou confrontations éventuelles, et suit l’instruction jusqu’au bout (requêtes, demande d’actes d’enquête). Il saisit le juge d’instruction si nécessaire de demandes écrites complémentaires (audition de témoins, expertise) tout au long de l’information.
- Représentation en justice : si l’affaire débouche sur un procès, l’avocat peut plaider pour votre indemnisation en tant que partie civile devant le tribunal. Il vous informe aussi sur les possibilités de secours comme l’appel en cas de refus d’informer.
En résumé, l’appui d’un avocat renforce votre dossier et vous évite bien des écueils formels.
Il s’assure que votre démarche soit mieux perçue par les magistrats.
FAQ
Peut-on contester la décision de classement sans suite ?
Oui.
Il n’existe pas d’appel automatique du classement, mais plusieurs voies de contestation : le recours hiérarchique auprès du procureur général (article 40-3 CPP), la citation directe si l’auteur est connu, ou le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile (saisine du doyen).
À terme, vous pouvez également saisir la Cour européenne des droits de l’homme si vous estimez qu’aucun recours interne effectif n’a été offert.
Comment fonctionne la consignation et peut-on être dispensé ?
Après le dépôt au doyen, le juge d’instruction fixe un montant de consignation adapté à vos revenus. Vous disposez d’un délai pour la verser ; à défaut, la plainte est déclarée irrecevable.
Cette somme sert à payer une éventuelle amende en cas de plainte abusive (jusqu’à 15 000 €).
Elle vous est restituée à la fin de la procédure, que l’information soit ouverte ou non.
Si vos ressources sont faibles, vous pouvez demander à être dispensé de consignation : le juge a le pouvoir d’exonérer partiellement ou totalement la victime dans ce cas.
Les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle ne paient pas de consignation.
Quels sont les délais moyens d’ouverture d’information judiciaire ?
La loi oblige le juge d’instruction à statuer en un mois après réception de la plainte.
En pratique, le procureur peut demander jusqu’à 3 mois de délai supplémentaire pour vérifier les faits.
On peut donc compter généralement quelques mois avant que le juge ne décide d’ouvrir (ou non) une information.
Si le juge ne répond pas en un mois, vous pouvez saisir la chambre de l’instruction pour qu’elle intervienne.
Peut-on viser “contre X” ?
Oui.
Si l’identité de l’auteur présumé est inconnue, vous avez la possibilité de formuler votre plainte « contre X ».
La procédure reste valable : le juge d’instruction sera chargé de déterminer qui était l’auteur.
En revanche, si vous connaissez le nom de l’auteur, il est préférable de le nommer clairement dans la plainte.
Que se passe-t-il en cas de non-lieu ?
Si le juge d’instruction finit par conclure qu’il n’y a pas lieu de poursuivre (non-lieu, aussi appelé ordonnance de refus d’informer), il rend une décision motivée qui clôt l’information.
La victime peut alors faire appel de cette ordonnance auprès de la chambre de l’instruction dans les 10 jours.
En l’absence de recours, la procédure pénale s’arrête et l’affaire n’ira pas au procès.
La victime peut toutefois toujours agir en justice civile (par exemple pour obtenir réparation du préjudice) si les faits le permettent, ou, dans certaines circonstances, demander une réouverture si de nouveaux éléments apparaissent.
À savoir : La procédure de saisine du doyen ne peut être engagée que par la victime directe du préjudice (ou par ses représentants légaux si elle est mineure).
Une association ne peut agir comme partie civile sauf cas particuliers prévus par la loi.
Enfin, la plainte avec constitution de partie civile ne doit pas être confondue avec une simple plainte : elle s’adresse au juge d’instruction pour ouvrir une information judiciaire, alors que la plainte simple déclenche une enquête policière sous l’autorité du parquet.