La justice restaurative est un dispositif complémentaire à la justice pénale classique, visant à impliquer activement les victimes dans le processus de réparation.
Introduite en France par la loi du 15 août 2014, elle permet à une victime et à un auteur d’infraction (ou à des groupes de victimes et d’auteurs) de se rencontrer et d’échanger, de manière volontaire, confidentielle et sécurisée, en parallèle de la procédure judiciaire. Ce cadre de dialogue, récemment popularisé par le film « Je verrai toujours vos visages » (2023), offre une rencontre humaine où chacun peut exprimer son vécu.
Dix ans après son entrée en vigueur, quel est le bilan de la justice restaurative en France, et quels bénéfices concrets apporte-t-elle aux victimes ?

Qu’est-ce que la justice restaurative ?
La justice restaurative (parfois appelée justice réparatrice) vise à compléter le système répressif traditionnel en plaçant au centre la parole des personnes touchées par une infraction.
Concrètement, il s’agit de faire dialoguer une victime et un auteur (ou plusieurs) avec l’aide d’un médiateur formé, afin d’aborder les conséquences humaines de l’acte commis.
Ce dialogue peut prendre différentes formes : une rencontre directe entre la victime et son propre agresseur (après une préparation de plusieurs mois par des professionnels), ou des rencontres indirectes regroupant des victimes et des auteurs d’infractions similaires qui ne se connaissent pas.
Dans tous les cas, la participation est libre et sans incidence sur la procédure pénale – c’est une démarche personnelle qui n’affecte ni le verdict ni la peine en cours.
Introduite dans le Code de procédure pénale en 2014, puis étendue aux mineurs par le Code de justice pénale des mineurs en 2021, la justice restaurative est aujourd’hui proposée à tous les stades d’une affaire pénale : avant le procès, après le jugement, voire même en l’absence de poursuites judiciaires. Elle est gratuite et encadrée par des associations spécialisées (telles que l’IFJR – Institut Français pour la Justice Restaurative ou le réseau France Victimes).
Son objectif principal est clair : offrir à chacun un espace d’écoute et de reconnaissance. « La justice restaurative vise la reconstruction de la victime, la responsabilisation de l’auteur de l’infraction et sa réintégration dans la société », explique le Ministère de la Justice.
En d’autres termes, au-delà de punir un acte, il s’agit de réparer autant que possible les liens humains brisés par le crime, pour aider la victime à se reconstruire et éviter que l’auteur ne réitère.

10 ans après la loi de 2014 : un bilan officiel mitigé
Dix ans après sa légalisation, quel bilan peut-on tirer de la justice restaurative en France ? En 2024, une étude officielle pilotée par le CNRS a dressé un constat globalement positif mais nuancé. D’un côté, les résultats confirment que ce dispositif apporte un véritable mieux-être aux participants : le rapport montre que la justice restaurative produit « systématiquement (au moins à court terme) des effets positifs sur l’estime de soi et les sociabilités des individus qui y participent ».
Les personnes ayant pris part à ces rencontres se sentent généralement mieux comprises et apaisées juste après, qu’il s’agisse des victimes ou des auteurs.
Par exemple, selon Sabrina Bellucci, directrice de l’Institut national d’aide aux victimes, les premières rencontres détenus-victimes organisées en France ont laissé les participants « grandis, apaisés, soulagés », avec clairement un « avant » et un « après » pour les victimes volontaires.
D’un autre côté, le déploiement de la justice restaurative reste encore fragile et inégal sur le territoire. L’étude CNRS révèle une application « en pointillé » : quelques régions et établissements pénitentiaires pilotes sont très actifs, tandis que d’autres n’ont encore mené aucun programme.
Par ailleurs, les chercheurs soulignent que les effets positifs peuvent s’estomper avec le temps : une fois la vie quotidienne reprise, le bénéfice ressenti par la victime tend à diminuer si aucun suivi n’est assuré. Autrement dit, la justice restaurative offre un soulagement souvent temporaire sur le plan émotionnel.
L’enquête pointe également un manque de moyens : peu de financements et de personnel dédié, et une institutionnalisation timide. La politique publique s’appuie presque exclusivement sur l’initiative de certains professionnels passionnés (personnels pénitentiaires, associations bénévoles), ce qui limite son accessibilité pour l’ensemble des victimes.
Enfin, il est intéressant de noter que la justice restaurative a été utilisée en France y compris pour des infractions très graves.
Sur près de 1000 participants étudiés, environ 50 % des mesures concernaient des violences sexuelles ou conjugales.
Cela montre que, même dans des situations de traumatisme profond (viol, inceste, violences conjugales), certaines victimes choisissent cette voie pour tenter de se reconstruire. Ces cas sensibles nécessitent évidemment des précautions accrues – et la démarche ne convient pas à toutes les victimes – mais les premières expériences ont montré des retours encourageants.

Les bénéfices de la justice restaurative pour les victimes
Malgré ses limites, la justice restaurative apporte de nombreux bénéfices concrets aux victimes qui y participent.
Voici 5 bénéfices clés mis en lumière après dix ans de pratique :
- Briser l’isolement et être entendu – La procédure pénale classique peut laisser la victime dans un certain isolement, réduite au rôle de témoin dans son propre drame. La justice restaurative vient rompre cette solitude en offrant un espace de parole dédié. La victime peut exprimer librement ce qu’elle a sur le cœur – sa souffrance, sa colère, ses questions – devant un auteur qui l’écoute. Ce dispositif vise explicitement à « extraire les victimes et les auteurs de l’isolement engendré par la procédure » judiciaire. Pour la victime, c’est l’occasion d’être enfin écoutée et comprise, ce qui en soi apporte un grand soulagement. Au fil des séances de dialogue, elle n’est plus seule face à son traumatisme : des professionnels la soutiennent et l’auteur entend sa voix. Ce premier pas permet souvent de briser le cycle du silence et de reprendre confiance dans le processus de justice.
- Obtenir des réponses et tourner la page – Beaucoup de victimes restent hantées par des questions sans réponse : Pourquoi moi ? Qu’aviez-vous en tête ? Êtes-vous désolé ?. Le procès pénal, focalisé sur les faits et la culpabilité, ne répond pas toujours à ces interrogations intimes. Lors d’une rencontre restaurative, la victime peut poser directement ses questions à l’auteur des faits – y compris celles qui étaient restées en suspens lors du procès. Cet échange, encadré par un médiateur, permet souvent de lever certaines incompréhensions ou d’obtenir des excuses sincères de la part de l’auteur. Comprendre le contexte de l’acte, entendre des regrets exprimés, peut aider la victime à mieux clôturer l’événement dans son esprit. Peu à peu, elle parvient ainsi à tourner la page et à alléger le poids du passé. Bien sûr, chaque parcours est différent, mais nombre de participants disent avoir ressenti un véritable apaisement après avoir pu confronter l’infracteur et entendre sa version des faits.
- Renforcer l’estime de soi et se reconstruire – Être reconnue en tant que victime et pouvoir raconter son histoire sans jugement contribue à restaurer l’estime de soi. Le sentiment d’impuissance ou de honte qui pèse souvent sur les victimes de crimes s’atténue lorsqu’elles constatent que leur parole a de la valeur et peut même aider l’autre partie à prendre conscience de la gravité de ses actes. Des études ont observé qu’à l’issue d’une mesure restaurative, les victimes ressentent une amélioration de l’estime d’elles-mêmes et de leur capacité à reprendre leur vie en main. En participant activement à ce processus, la victime cesse d’être définie uniquement par son statut de victime ; elle redevient un individu à part entière, acteur de son propre chemin de reconstruction. Cette reprise de pouvoir sur le récit de l’événement traumatique est cruciale pour aller de l’avant. Même si le bienfait psychologique peut être éphémère sans accompagnement prolongé, il n’en demeure pas moins réel et précieux dans le parcours de résilience de la personne.
- Contribuer à la responsabilisation de l’auteur – Bien que la démarche vise d’abord le bien-être de la victime, un effet indirect important est la prise de responsabilité par l’auteur de l’infraction. En confrontant ce dernier aux conséquences concrètes de son acte sur une personne réelle, la justice restaurative suscite souvent chez lui une prise de conscience et des remords authentiques. Pour la victime, voir l’auteur reconnaître sa faute et mesurer l’impact de ses actes peut être très réparateur. Cela valide sa souffrance et lui montre que la faute ne vient pas d’elle. Dans certains cas, savoir que l’agresseur a compris la gravité de ce qu’il a fait et s’engage à ne pas recommencer apporte à la victime un sentiment de sécurité accru pour l’avenir. Elle a le sentiment d’avoir contribué à éviter que d’autres ne subissent le même tort, ce qui peut transformer une expérience négative en motivation positive (par exemple, de nombreuses victimes deviennent par la suite des bénévoles aidant d’autres victimes). Ainsi, même si cela ne change pas le passé, la victime retire une forme de satisfaction à voir que justice – au sens moral – lui est rendue par la reconnaissance de l’auteur.
- Retrouver un sentiment de justice et de reconnaissance – Enfin, la justice restaurative permet aux victimes de reprendre une place active dans le processus judiciaire. Trop souvent, dans le monde de la justice traditionnelle, la victime se sent mise à l’écart une fois sa déposition faite. Ici au contraire, elle participe pleinement à une forme de justice plus humaine. L’État lui-même, à travers ce dispositif, « donne du temps, de l’écoute, de la reconnaissance » à des personnes souvent éprouvées par la procédure pénale classique. La victime éprouve la satisfaction d’être reconnue en tant que partie prenante à part entière, et pas seulement comme un “dommage collatéral” de l’infraction. Ce sentiment de justice restaurative, plus équitable et centré sur la personne, redonne confiance dans l’institution judiciaire. La victime peut en ressortir avec une vision plus positive de la justice, ayant constaté que celle-ci peut aussi prendre soin d’elle et pas uniquement punir l’auteur. Ce sentiment d’avoir été traitée avec humanité et considération est un bénéfice immatériel mais essentiel pour tourner la page du drame.

En somme, la justice restaurative offre aux victimes un parcours de réparation complémentaire, où l’humain reprend sa place au cœur de la justice. Elle ne se substitue pas au procès pénal, mais apporte ce que la procédure classique ne peut offrir : de l’écoute, du sens et du lien. Bien sûr, cette démarche ne convient pas à tout le monde – chaque victime est unique face à son histoire. Néanmoins, pour beaucoup, elle représente une opportunité précieuse de se reconstruire et d’avancer.
Il reste des défis à relever pour généraliser cette pratique en France : mieux former les intervenants, garantir un suivi à long terme pour pérenniser les bienfaits, et financer davantage de programmes afin que toute victime intéressée puisse en bénéficier. La justice restaurative est un outil encore jeune et perfectible, mais son bilan à 10 ans montre un potentiel réel pour améliorer la prise en charge des victimes. À côté de cette approche, l’État continue de développer d’autres aides en faveur des victimes de violences (par exemple l’Aide universelle d’urgence aux victimes de violences conjugales récemment mise en place) et de renforcer leurs droits, y compris dans des situations spécifiques comme celle des victimes d’abus incestueux. Chaque victime doit pouvoir trouver l’accompagnement qui convient le mieux à sa situation, qu’il soit judiciaire, restauratif ou thérapeutique. Dans tous les cas, il est recommandé de se rapprocher de professionnels (avocats, psychologues, associations d’aide aux victimes) pour être guidé vers la démarche la plus appropriée et ainsi, cheminer vers la reconstruction.